Quand l’été touche inévitablement à sa fin, les Polonais partent à la recherche de champignons. Mais qu’est-ce qui les rends aussi fous de champignons ? Et comment s’y mettre ? Voici le petit guide de la cueillette des champignons.
En Pologne durant les mois de septembre, octobre et novembre on trouve cèpes, lactaires, chanterelles et d’autres à profusion. Ils sont séchés ou congelés, donnés à des membres de la famille, vendus sur le marché ou sur le côté de la route. Inutile de demander la permission ou de payer comme dans de nombreux pays occidentaux. Pour prendre part à la folie des champignons, il suffit juste de respecter la nature dans sa gloire automnale.
Mycophobie & mycophilie
Si on écrit à propos de la tradition de la cueillette des champignons en Pologne, on doit commencer par mentionner le poème épique national écrit par Adam Mickiewicz, Pan Tadeusz, dans lequel on trouve une description magnifique de cette activité.
Comme l’indique le chef-d’œuvre de Mickiewicz, la cueillette des champignons fait partie de la tradition polonaise depuis une éternité. Cette tradition est partagée avec la Lituanie, mais aussi avec d’autres pays slaves, qui ont été proclamés « mycophiles » par les chercheurs R. Gordon Wasson et Valentina Pavlovna Wasson, auteur du livre Mushrooms, Russia and History (1957).
C’est en complète opposition aux pays « mycophobes » comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Belgique et le Danemark. Les britanniques et les américains, surtout, s’aventurent rarement dans les bois à la recherche de champignons. Ils mangent principalement des champignons de Paris qu’ils trouvent prudemment emballés dans les rayons du supermarché. En regardant les noms anglais folkloriques de certains champignons sauvages, on peut sentir leur anxiété. Ainsi, l’hygrophore conique prend le nom witch’s hat, qui signifie chapeau de sorcière ; l’hébélome échaudé devient poison pie, qui signifie tarte empoisonnée ; la trémelle mésentérique s’appelle witches’ butter, soit beurre des sorcières ; l’urnule cratériforme est appelé devil’s urn, l’urne du diable ; et le xylaire polymorphe a le doux nom de dead man’s fingers, les mains des morts. Ces surnoms effrayants révèlent vraiment la position louche des champignons dans la culture anglo-saxonne.
En comparaison, les Polonais sont beaucoup plus ouverts aux différentes espèces. Cependant Wasson et Wasson signalent qu’en Pologne, les champignons sont à la fois aimés et craints :
L’exceptionnel poète polonais Adam Mickiewicz, dans le troisième livre de son chef-d’œuvre Pan Tadeusz, consacre quelques lignes à la beauté inoubliable de la collecte de champignons sauvages. Mais en tant que Russe, je remarque qu’il ne rend hommage qu’à trois types de champignons (Hsichki, boroviki, et ryzhiki en anglais.) Des autres il dit que les gens les méprisent.
Un autre Polonais, Stanislaw Trembecki, figure littéraire notable de la période classique polonaise à la fin du XVIII siècle, a écrit une étonnante diatribe contre les mangeurs de champignons. C’était un excentrique érudit, mais l’hostilité sur ce sujet est unique. Il n’y a pas de parallèle chez les Russes, même chez les excentriques russes. Bien sûr, il n’est pas correct de faire des généralités à partir des déclarations des intellectuels. Les paysans de Pologne peuvent très bien ne pas être influencés par la mycophilie qui a infectée leurs hommes de lettres. Mais nous sommes contraints de relever que dès le XVII siècle Waclaw Potocki, un éminent poète polonais, un maître de l’école baroque, parle grandement dans son œuvre The Unweeded Garden de champignons sauvages. Il dit que les champignons représente un commerce ésotérique, et qu’il vaut mieux les laisser au peu de personnes qui en connaissent les secrets !
Attirés par le mystère
« C’est le mystère lui-même qui nous pousse dans les bois ! » s’enthousiasme l’anthropologue Roch Sulima lors d’une interview pour l’hebdomadaire Przegląd :
Au moins une fois par an, en automne, nous devons aller cueillir des champignons. Quand nous le faisons, c’est comme si nous nous étions créé un jour de congé. Que ce soit un dimanche ou un mardi – c’est un jour de congé. Nous entrons en contact avec quelque chose de différent, de surnaturel. C’est l’un des derniers endroits où on oublie ses capacités techniques et on devient des chasseurs à la recherche d’aventures. Nous vivons de moins en moins d’aventures dans nos vies, vu que l’on peut tout acheter, même de la spiritualité. Ici nous pouvons diriger notre propre mystère, le vivre sans médiateurs.
Cette double vue des champignons, comme un mets délicat et un mystère, est aussi visible dans la culture polonaise moderne. D’un côté, les jeunes et les moins jeunes ont comme hobby la cueillette de champignons. On transmet souvent la connaissance des espèces particulières de génération en génération. D’un autre côté, il faut se méfier des champignons, il y a un risque à les consommer. Tous les Polonais entendent sûrement la plaisanterie « Espérons ne pas subir une intoxication alimentaire » après avoir été invités à manger une sauce de cèpes qui a une forte odeur faite par un membre de la famille allé cueillir des champignons.
Marcin Kotowski, ethnobiologiste et mycologue de l’Université de Rzeszów, souligne que les Polonais de toutes les régions ont généralement une attitude positive envers la collecte et la consommation de champignons. Comme les recherches le montrent, les champignons sont surtout collectés pour un usage personnel. La tradition très ancrée de récolte entraîne une composition assez diversifiée d’espèces récoltées. Ceci est difficile à codifier quand on régule le commerce.
« La recherche ethno-mycologique conduite dans cinq villages en Voïvodie de Mazovie montrent que la majorité des cueilleurs de champignons vivant dans ces localités récoltent des espèces qui ne sont pas présentes sur la liste officielle des champignons autorisés pour le commerce en Pologne », écrit Kotowski dans son article Differences between European Regulations on Wild Mushroom Commerce and Actual Trends in Wild Mushroom Picking. Notons cependant que le simple fait qu’il existe une liste officielle de champignons autorisés pour le commerce est une preuve de la mycophilie polonaise. Il n’existe pas de liste pareille en Grande-Bretagne, par exemple, puisque de toute façon personne ne récolte de champignons.
Kotowski ajoute que la cueillette de champignons est devenue plus populaire ces dernières années. Elle a franchit les limites des classes sociales. Maintenant, en plus de la population rurale, les gens de la ville, les savants et même les hipsters y vont. Mais qu’est-ce qui les attirent à réaliser cette activité « primitive », absolument pas moderne et même potentiellement dangereuse ?
La cueillette aujourd’hui
« Il s’agit de la nature, de l’air frais, de marcher et regarder autour de soi » dit Bolesław Kurciński. Il collecte des champignons principalement dans les régions de Mazovie et Mazurie depuis plus d’un demi-siècle. Aussi, il confirme voir plus de gens dans les bois.
Autrefois, il était parfaitement possible de rencontrer juste une ou deux autres personnes cueillant des champignons. Maintenant, il faut se réveiller très tôt ou s’aventurer dans des zones beaucoup plus désolées pour ne pas rencontrer des familles entières. Même dans les bus en-dehors de Varsovie le matin, on sent les champignons.
Agata Balcerzak, productrice de théâtre et guide culinaire, a aussi été à la cueillette toute sa vie. Elle ne peut pas imaginer sa vie sans la cueillette de champignons :
Je suis de Pila. D’aussi loin que je me souvienne, à l’automne il se passait la même chose : je rentrais de l’école, posait mon sac, et partait récolter des champignons avec mes parents. On ne se réveillait pas à 5 heures du matin et on ne cherchait pas de champignons à l’aube. Nous avions nos endroits préférés: les taillis de bouleaux pour les bolets rudes et les lépiotes élevées; un endroit pour les cèpes de Bordeaux; « le chemin sinueux près du moulin » pour les xerocomus et d’autres. Bien que maintenant je vive à 400km de chez mes parents, j’essaie de planifier un voyage pour cueillir des champignons chaque année.
Bolesław Kurciński et Agata Balcerzak s’accordent sur le fait qu’il ne s’agit pas nécessairement de manger ce qu’ils trouvent. On pourrait dire que le voyage est plus important que la destination. Kurciński affirme que s’il ne devait pas travailler, il passerait tout son temps libre dans la forêt. Par contre, il donnerait ensuite la plupart des champignons. Après tout, on ne peut pas tous les manger. Dans le même temps, même si Kurciński a appris à conserver les champignons dans le vinaigre et adore les sécher et les ajouter dans des soupes et dans des sauces après, il convient que le plus important c’est le frisson de la recherche.
Bien sûr, ces champignons sauvages que l’on récolte jouent un rôle important dans la cuisine polonaise. Ils sont mijotés, transformés en soupe, conservés dans du vinaigre et même fermentés quand on fait du chou ou autre. La soupe de champignons est la soupe traditionnelle du réveillon de Noël, à côté du bortsch de betterave servi avec de l’uszka – de petites boulettes remplies de champignons. Et bien évidemment, l’une des garnitures traditionnelles du pierogi sont les champignons et la choucroute. Cette combinaison extraordinaire est aussi la fondation du bigos – le ragoût des chasseurs.
Mais si les buts culinaires étaient tout ce qui importait, on pourrait juste acheter les champignons, n’est-ce pas ? Rafał Pawłowski, critique de films et blogger culinaire, admet qu’acheter des chanterelles ou des lactaires délicieux à un vieille dame au marché a son charme, mais c’est mieux de les trouver par soi-même :
Une fois, j’ai trouvé 78 cèpes et presque 30 lépiotes élevées lors d’un passage dans les bois. C’est le genre de choses qui peut vous rendre vraiment extatique.
Quelques conseils de base pour les débutants
Si vous voulez aussi ressentir l’extase des champignons, il y a quelques règles à ne pas oublier :
- La sécurité d’abord ! Ne cueillez pas de champignons que vous ne connaissez pas. Il est mieux de se contenter des plus populaires qui sont faciles à reconnaître : les cèpes, les chanterelles, les lactaires délicieux et les lépiotes élevées.
- Il est indispensable de commencer la collecte avec quelqu’un d’expérimenté. Vous trouverez quantité de Polonais disposés à aider si vous demandez autour de vous. Si vous êtes seul, vérifiez les photos dans un guide de référence jusqu’à ce que vous connaissiez les espèces correctement.
- Essayez de vous réveiller le plus tôt possible, même à 5 heures du matin ! C’est mieux d’aller dans les bois avant tout le monde et de cueillir les champignons qui ont poussé pendant la nuit.
- Il faut du temps et de l’expérience pour repérer les meilleurs endroits, mais voici quelques indices : les cèpes de Bordeaux poussent près des pins et des chênes, mais il ne faut pas oublier les bouleaux – c’est là que vous pourrez trouver les délicieux bolets rudes.
- C’est mieux de mettre les champignons dans un panier en osier – ils s’abiment plus rapidement dans du plastique. Un couteau de poche sera également utile pour la récolte.
- Soyez prêts à affronter n’importe quel temps : les bois peuvent être humides et frais, et l’automne en Pologne est assez imprévisible : des bottes et un imperméable sont une bonne idée. Un thermos rempli de thé chaud est aussi essentiel.
- Enfin, il ne faut pas oublier les habitants des bois, même ceux que vous ne voulez pas rencontrer : les moustiques et les tiques peuvent être assez dangereux, alors pensez à utiliser des répulsifs.
Autrefois, la cueillette de champignons était simplement une nécessité économique pour les gens des communautés rurales qui les vendaient (avec d’autres trésors forestiers comme les baies) aux gens des plus grandes villes qui n’avaient ni le temps ni l’envie d’aller dans les bois. Mais plus maintenant. A présent, la cueillette de champignons est un véritable business pour certains – il y a habituellement des tonnes de cèpes et de chanterelles au marché fermier chaque année – mais aussi un hobby pour d’autres, les grands comme les petits, qui veulent échapper à la jungle urbaine et recherche du silence, de l’air frais et un contact avec la nature.
Si vous voulez essayer, il n’y a pas de meilleur moment pour commencer que le début de l’automne !
Source : Why Are Poles So Obsessed With Mushroom Picking?
Images: Šárka Jonášová de Pixabay ; Pashi de Pixabay ; Annabel_P de Pixabay ; Erkko Vuorensola de Pixabay
Chef Franco-Polonais et Fondateur de Sauce Polonaise. Passionné par la richesse de la cuisine et de la culture polonaises, Pierre explore et partage les saveurs authentiques et les histoires captivantes de la Pologne. Résidant en Pologne depuis 7 ans, chaque recette, chaque article, est une invitation à découvrir ce pays vibrant à travers ses plats, ses traditions et son peuple.