Depuis 600 ans, la région de Podlachie au nord-est de la Pologne – région frontalière avec la Biélorussie et la Lituanie – est le foyer des Tatars baltiques. Il s’agit d’une des plus anciennes communautés musulmanes d’Europe toujours existante. La cuisine a toujours été une des meilleures formes de communication interculturelle. Quels sont les plats les plus marquants de la gastronomie des Tatars ?
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L’histoire de la communauté tatare en Pologne en bref
Les Tatars sont arrivés en Pologne durant deux vagues d’immigration.
Les premiers membres de la communauté se sont installés dans le Grand-duché de Lituanie au XIV siècle. Cela s’est produit après que le Grand-Duc de Lituanie, Vytautas le Grand, leur ait offert l’asile et des propriétés en récompense de leurs efforts au combat contre l’Ordre Teutonique. Les Tatars sont souvent appelés Tatars baltiques. C’est un nom dérivé de l’ancien nom que les Tatars de Crimée donnaient à la Lituanie.
Les années suivantes, plus d’exilés tatars se sont installés dans la région. Au XVI siècle, selon les estimations, il y avait des centaines de milliers de Tatars. Les régiments de cavalerie légère tatars se sont battus aux côtés des Polonais lors de la Bataille de Grunwald. Ils l’ont aussi fait durant d’autres campagnes militaires majeures du royaume de Pologne-Lituanie.
La seconde vague de migration a eu lieu au XVII siècle. Elle s’est produite après une rébellion tatare. La cause: une paie tardive et des restrictions sur les droits et les libertés religieuses. En 1679, le roi Jean III Sobieski a rendu leurs privilèges aux Tatars. Il leur a aussi offert des propriétés dans l’est de la Pologne. L’un des villages donnés aux Tatars est Kruszyniany. C’est maintenant un centre de la vie des Tatars en Pologne, avec sa fameuse mosquée verte. Les siècles suivants, les Tatars ont combattu lors de la bataille de Vienne. Ils ont aussi soutenu les efforts pour regagner l’indépendance de la Pologne et de la Lituanie.
Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de Tatars n‘ont pas pu retourner à leur foyer ancestral. De ce faits, des communautés de Tatars se sont installées dans toute la Pologne, y compris à Gdańsk, Wrocław et Szczecin. Selon des estimations récentes, le nombre de Tatars en Pologne se situe entre quelques centaines et deux milliers. De plus, la moitié d’entre eux vivent dans la région de Białystok.
Le courant de l’Islam pratiqué par les Tatars de Pologne est dérivé du sunnisme, bien que certaines coutumes varient. Les Tatars se sont graduellement assimilés à la culture polonaise avec les siècle. Ils ont adopté des traditions chrétiennes incluant le pèlerinage et les arbres de Noël. Aussi, le polonais est leur langue maternelle. Cependant, la communauté a conservé beaucoup de ses traditions. Leur héritage a aussi été intensément influencé par les cultures islamiques et asiatiques. On note aussi l’influence des mouvements des Tatars au cours des siècles.
La cuisine tatare : tradition régionale, emprunt culturel
Mais c’est la nourriture tatare qui incarne parfaitement les traditions multiculturelles et l’histoire de la communauté. Beaucoup de plats trouvent leurs racines dans des coutumes vieilles de plusieurs siècles. Les influences russes et d’Asie centrale sont proéminentes, mais l’agriculture de différentes régions a aussi un impact significatif. Beaucoup de plats nécessitent des céréales, de la farine, du bétail et des produits laitiers. Comme les Tatars avaient besoin de plats riches qui remplissent, qui pouvaient se préparer facilement et avec peu d’ingrédients, de nombreux plats se font à partir de ragoût, avec des saveurs épicées. On ne trouve pas d’alcool ou de porc dans la cuisine tatare, suivant la tradition islamique.
Beaucoup d’éléments de la cuisine tatare reflètent les racines nomades de ce peuple. Ils mangeaient traditionnellement de la viande crue, y compris de la chèvre et du cheval. Ils cuisinaient sur un feu à ciel ouvert. Parce qu’ils n’avaient pas accès à une grande variété de légumes, les pommes de terre, les oignons, les carottes et le chou dominaient dans leurs recettes. Quand les Tatars se sont installés en Pologne, ils ont cessé de manger de la viande de cheval. Ils ont aussi adopté des traditions asiatiques et chinoises, ainsi que d’autres denrées alimentaires, comme le sarrasin, et des coutumes d’Europe de l’Est. Les Tatars essayaient d’utiliser la nourriture qu’il restait le plus possible. Ils utilisaient des méthodes de préservation de la viande venant de la culture ottomane, en salant et fumant le bœuf et l’oie en dehors des bâtiments ruraux.
La nourriture traditionnelle était préparée régulièrement dans les maisons tatares. Souvent, les évènements culturels et religieux se finissaient par une dégustation.
Vous trouverez ci-dessous l’histoire de certains des plats tatars les plus importants, encore appréciés aujourd’hui.
Les kolduny
Les kolduny, des boulettes farcies avec de la viande, sont un plat traditionnel tatar. On note une grande influence des cultures polonaise et lituanienne. Les boulettes ont été initialement adoptées de la culture chinoise. Elles ont cependant des ressemblances avec d’autres plats de boulettes traditionnels, comme les pierogi. Cela étant, les kolduny se font avec de la pâte sans levain. Elles cuisent dans du bouillon de viande, qui est ensuite servi avec les boulettes. Les farces salées incluent du bœuf, du mouton, du veau ou du poisson. Ce plat est un essentiel des repas festifs, servi en plat principal. En général, les boulettes sont suffisamment petites pour entrer toutes dans la bouche.
Mais les kolduny ne sont pas les seules boulettes, ou ravioles chinoises, de la cuisine tatare à être connues. Il existe aussi des boulettes ou ravioles rôties (les kibiny, les cebulniki, et les jeczpoczmaki) ; il en a qui sont frites (les pieremiacze et les tchebourek); et d’autres bouillies (les manty, un plat d’origine turc qui est populaire dans les communautés d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, et les katroflanikifaits avec une pâte à la pomme de terre et farcis avec du beurre au lieu de la viande).
Et pour rester dans une optique de réutilisation des restes, la pâte de kołduny peut se transformer en d’autres produits, comme en lavash (fine galette) ou en dżajma (pancakes).
Les sarburma
En tant que pâtisserie à six couches, remplie de farce avec une croûte dorée, le sarburma est probablement l’ultime plat anti-déprime.
On pétrit la pâte à la main et on la roule en fines feuilles, presque transparentes. Puis on graisse les feuilles avec du beurre ou de la graisse d’oie, et farcies avec des aliments sucrés (du fromage blanc, des raisins ou d’autres fruits) ou salés (de la viande). Il faut ensuite rouler les feuilles pour leur donner une forme pareille à une coquille d’escargot, qui pèse 3 kg et fait environ 20 cm de large, et le tout cuit dans un plat à four rond pendant 2h. Ce plat se sert froid ou chaud.
Il existe deux autres plats similaires au sarburma, le bielusz et les katlama, qui sont aussi populaires dans la communauté tatare.
Le bielusz a une pâte avec de la levure roulée, traditionnellement farcie avec de l’oie et de la citrouille, et se mange pendant les saisons plus froides. Durant l’entre-deux guerres, le bielusz était servi le vendredi.
Les katlama sont des roulades tatares, fait avec une pâte sans levain et farcis avec de la viande – du bœuf ou de l’agneau – ainsi qu’avec des oignons, du sel et du poivre.
Le riz pilaf
Le pilaf tatar fait parti d’une grande faille de plats avec du riz populaires en Asie et Europe centrale et de l’Est – comme le plov, le biryani ou la paella. La version tatare du riz pilaf contient souvent du riz aux épices et de la viande. Traditionnellement, les hommes préparaient le pilaf.
Le babka de pommes de terre
Le babka de pommes de terre est un plat populaire chez les Tatars de Kruszyniany. Ce gâteau se compose de la viande, mélangée avec des œufs, des pommes de terre râpées, des oignons et de la farine. Il se cuit dans une mijoteuse électrique avec de la crème aigre ou de la sauce à l’ail. C’est un plat simple à faire et parfait pour l’hiver. Le trybuszok est un plat similaire. Il se prépare avec de l’estomac de mouton, farci de pommes de terre et d’autres viandes.
Le kryszonka
Le kryszonka est l’un des plus anciens plats tatars. C’est un ragout fait avec de la viande et des légumes. On y retrouve des carottes, des pommes de terre, des oignons et des poivrons. Anciennement cuisiné sur un feu à ciel ouvert, il se chauffe maintenant au four. Le ragout est souvent servi avec de la choucroute.
Un autre ragout tatar connu est le shavla. C’est un ragout de veau, de légumes de saison et de sarrasin. Il se sert toute l’année.
Les desserts
Si les plats salés ne vous ont pas rassasié, la cuisine tatare inclut aussi une variété de desserts et friandises.
L’un des plus connus est le çäkçäk, des morceaux de pâte frite, couverts de sirop de miel et décorés avec des noix et des raisins. Ce dessert est populaire dans les mariages tatars. Traditionnellement, différentes femmes prennent différents rôles lors de la préparation. Les femmes mariées font frire la pâte, et les veuves font bouillir la garniture.
Certaines boulettes ou ravioles tatares sot servies avec des farces sucrées. Les kolduny incluent parfois des baies ou des fruits secs, et les manty ont parfois une compote de fraises avec de la crème.
Les bonbons tatars incluent aussi des fruits confits, souvent mangés en suivant des rituels religieux. La boisson syta est l’une des boissons tatares les plus populaires. C’est une boisson simple, faite avec de l’eau et du miel, et occasionnellement du citron.
Et un plat pas très tatar : le steak tartare
Le steak tartare porte mal son nom. Certains affirment que ce plat est d’origine tatare. Selon la légende, les cavaliers tatares mangeaient en entrée du bœuf coupé en dés parce qu’ils n’avaient pas le temps de cuisiner, alors ils attendrissaient la viande sous leurs selles. Cependant, les historiens relèvent que ce plat a peu de similitudes avec d’autres plats tatars connus, ou avec la cuisine asiatique. En fait, des plats similaires apparaissent au travers de l’Europe, de l’Italie à la France. En effet, des recettes de steak tartare sont seulement apparues en Pologne au début du XX siècle, dans des livres de recettes français. Il est possible que le mot « tartare » ait été ajouté en référence à l’utilisation de miettes de pain dans la cuisine tatare.
Mais peu importe la provenance du steak tartare. On retrouve de nombreux plats délicieux et uniques avec des histoires fascinantes dans la cuisine tatare. Ils offrent un aperçu de l’histoire et du patrimoine multiculturel de l’une des principales minorités ethniques de Pologne.
Pour en apprendre plus sur la gastronomie polonaise en général, vous pouvez consulter l’article: La Gastronomie Polonaise Expliquée aux Étrangers
Source: An Introduction to Tatar Cuisine | Article | Culture.pl
Images : Sergey kim de Pixabay; RitaE de Pixabay
Chef Franco-Polonais et Fondateur de Sauce Polonaise. Passionné par la richesse de la cuisine et de la culture polonaises, Pierre explore et partage les saveurs authentiques et les histoires captivantes de la Pologne. Résidant en Pologne depuis 7 ans, chaque recette, chaque article, est une invitation à découvrir ce pays vibrant à travers ses plats, ses traditions et son peuple.