Peut-être que vous le saviez, les pommes de terre sont assez populaires en Pologne. Elles se sont frayées un chemin dans les cœurs, les esprits et les assiettes de tous les Polonais. Mais comment ont-elles accompli cela ? Voici l’histoire de la pomme de terre en Pologne.
En 1821, Adam Mickiewicz a écrit un poème. Il s’intitule Kartofla (Pomme de terre), et n’a jamais fini. Il décrit les plaisirs de la vie à la campagne. Soudain, une pomme de terre saute de la cuisinière et exige de l’attention.
Ziemniak ou kartofel ?
Quand le poème a été écrit, les pommes de terre étaient déjà en Pologne depuis un moment. Cependant, pendant un temps, on connaissait ce légume sous plusieurs noms. Il est peu probable qu’une autre plante ou qu’un autre légume ait eu pléthore de noms, incluant aussi beaucoup de noms régionaux comme pyrki, pyry, grule ou même rzepa, pour ne citer que ceux-là. Le mot ziemniak a commencé à être utilisé seulement au XXème siècle. Dans les livres du XIXème siècle, le terme kartofel prédomine.
Le professeur Jan Miodek, un prolifique linguiste polonais, admet qu’il préfère utiliser le mot kartofel et qu’il n’apprécie pas ziemniak, mot plus populaire. Kartofel apparaît aussi dans des œuvres littéraires. En plus d’Adam Mickiewicz, Bolesław Prus l’a utilisé dans Latka (La Poupée). Julian Tuwim l’a aussi utilisé dans son poème intitulé Kartofle.
Selon le professeur Miodek, le mot kartofel vient de l’italien tartufo qui signifie truffe. Ce n’est pas surprenant car les anciennes variétés de pommes de terre étaient très similaires aux truffes. De plus, les deux poussaient sous terre. Quant à ziemnak, cela vient de notre collocation française pomme de terre, qui correspond à jabłko ziemne en polonais.
Un roi et son jardinier
On dit que les pommes de terre sont arrivées en Pologne grâce au roi Jean III Sobieski. Apparemment, il en aurait envoyé un grand sac à sa femme pendant le siège de Vienne.
En réalité, c’était Paweł Wienczarek, un jardinier du palais de Wilanów, qui y a planté des pommes de terre. Plus tard, son beau-fils, Jan Łuba, a popularisé la culture de ce légume à Varsovie pendant le règne de Frédéric-Auguste Iᵉʳ de Saxe. Selon la légende, Łuba amenait des charrettes remplies de semis de pommes de terre depuis la Saxe. Le roi, friand de ce légume, exigeait un plat de pommes de terre frites tous les jours. Quand la popularité de la pomme de terre a augmenté, les jardiniers des nobles ont commencé à essayer de la cultiver. Au départ, ils n’avaient pas beaucoup de succès. A l’époque, il n’y avait pas de variété qui résistait au gel. De plus, on ne savait pas comment préserver les pommes de terre.
Les Polonais étaient dégoûtés par les pommes de terre. Ils les considéraient comme mauvaises pour la santé. Certains prêtres répandaient même ces croyances. Ils le faisaient pour s’assurer que les Polonais ne développeraient pas le goût allemand pour les pommes de terre. Aussi, ils ne voulaient pas voir de la fécule de pomme de terre dans les offrandes de l’autel. Néanmoins, à la fin du règne du roi Auguste III, les pommes de terre étaient connues dans toute la Pologne et la Lituanie.
Des possibilités illimitées
Dans les compendiums et les calendriers du 18ème siècle, on pouvait lire comment les gens utilisaient et préparaient les pommes de terre à l’étranger. Le prêtre Jan Krzysztof Kluk, naturaliste, a écrit en 1788 que les pommes de terre doivent être séchées au soleil, broyées et stockées pour une utilisation ultérieure. Par exemple, on pouvait s’en servir pour faire le soi-disant gąszcz (sauce épaisse) avec du bouillon ou avec de l’eau et du beurre. Un tel gąszcz, selon Kluk, était un repas gastronomique sain, en particulier pour ceux qui avaient un estomac faible. Une autre façon de consommer les pommes de terre était de les faire bouillir, de les trancher et de les servir chaudes avec du hareng, du bouillon ou de la soupe de poisson.
Grâce à Informacya Praktyczna Względem Gospodarstwa (Informations Pratiques pour un Usage Domestique) on apprend en 1775 que les pommes de terre sont utiles et apportent de nombreux bienfaits. On se rend aussi compte qu’elles peuvent servir de nourriture de diverses façons. Bouillies avec leur peau et garnies avec une pincée de sel et un peu de beurre, les pommes de terre font une garniture et un repas exquis même pour ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens ; cuites sur de la cendre chaude elles ont un goût de châtaigne ; beaucoup de gens les préparaient avec de la viande ; d’autres les faisaient frire avec du beurre, après les avoir épluchées, coupées et blanchies.
Doświadczenie w Gospodarstwie (Expérience du Foyer) publié en 1792, partageait des informations sur « diverses façons d’utiliser les pommes de terre en Amérique ». L’une d’entre elles était la fabrication du pain. Les Européens qui ont visité les États-Unis et auraient essayé ce pain de pommes de terre bouillies ont convenu qu’il était plus savoureux et plus nutritif que le pain de blé. De plus, c’était plus nourrissant. Maintenant en Pologne, on associe le pain à la pomme de terre à la cuisine rurale de « grand-mère ».
De plus, une recette des « ancêtres » des chips originaire d’Amérique est arrivée en Pologne. Au XVIIIème siècle, on produisait des chips pour les consommer durant de longues journées. Les pommes de terre étaient bouillies, épluchées, finement coupées et séchées dans un four pour le pain. Préparées ainsi, les pommes de terre pouvaient rester pendant des mois sans pourrir.
Les possibilités pour préparer les pommes de terre paraissaient sans fin. Dans Staropolskie Przepisy Kulinarne: Receptury Rozproszone z XVI–XVIII Wieków (Vieilles Recettes Polonaises : Diverses Recettes du XVIème au XVIIIème siècles), on trouve une recette de riz de pommes de terre. Et si on peut faire du riz avec des pommes de terre, pourquoi pas des pâtes ? De ce fait, en 1791, une recette de nouilles fines de pommes de terre est apparue. Il existe même une recette, vieille de 200 ans, pour faire du « café » avec des pommes de terre dans Krótka Wiadomość o Kawie, o Jej Własnościach i Skutkach na Zdrowie Ludzi Wpływających (Un Livre Concis sur le Café, sa Nature et ses Effets sur la Santé). Le café fait à partir de cette recette était censé être très sain. Il n’excitait pas autant que le vrai café et était adapté au climat polonais.
Nourriture pour les pauvres
Cependant, c’est seulement au XIXème siècle que les pommes de terre ont eu une importance économique en Pologne. On publiait de plus en plus de livres de recettes avec des recettes où la pomme de terre jouait un rôle central. Il faut avouer cependant que certaines recettes étaient un peu bizarres.
Jan Szyttler, l’auteur de livres de recettes innovants de l’ère romantique, a publié des recettes de ravioles à la pomme de terre. Il proposait même une recette de pickles à la pomme de terre, les soi-disant kartofla wiosenna. Pour faire ces pickles, il fallait de très petites pommes de terre. Après avoir été bouillies, elles devaient refroidir dans de l’eau glacée. Ensuite il fallait les éplucher, les mettre dans un bocal et les recouvrir de vinaigre blanc bouilli et assaisonné avec des épices.
Des moyens de produire de l’amidon et de l’alcool avec des bulbes de pommes de terre sont aussi arrivés en Pologne. Dans la première moitié du XIXème siècle, des manuels pour faire de la vodka, comme Praktyczne Gorzelnictwo (Distillation Pratique) publié en 1841 étaient assez populaires. Certains auteurs clamaient que les bulbes de pommes de terre étaient aussi parfaits pour faire du vin.
Les pommes de terre sont un ingrédient essentiel de la célèbre soupe de Rumford. Cette soupe était souvent donnée aux moins fortunés. Des philanthropes la servaient à Munich, à Varsovie et à Cracovie. La recette a été inventée par Benjamin Thompson Rumford, un Américain vivant au tournant des XVIIIème et XIXème siècles, qui s’est enfui en Europe pendant la guerre d’indépendance américaine. Ses recherches ont conduit à la création d’un plat nouveau. Selon les connaissances de l’époque, ce plat était parfaitement équilibré sur le plan nutritionnel et facilement abordable.
Le nom de cette soupe a même été utilisé comme titre d’un tableau d’un artiste basé à Cracovie, Hipolit Lipiński. Il a capturé un événement caritatif organisé devant l’église Sainte-Marie de Cracovie. La soupe a atteint les terres polonaises au début du XIXème siècle. Elle était cuisinée par des associations caritatives qui gèrent des cuisines pour les pauvres et les sans-abris. À Varsovie, par exemple, il y avait une Rumford’s Soup Society. Elle a fonctionné pendant de nombreuses années.
L’ascension et la chute… et l’ascension de la pomme de terre en Pologne
Pendant la seconde moitié du XIXème siècle, Henryk Dołkowski a produit des variétés de pomme de terre qui pouvait concurrencer les variétés allemandes, dominantes à l’époque. Les semis de pomme de terre polonais sont devenus populaires en Hongrie, en Allemagne et en Bulgarie. Vers la fin du siècle, ils ont été récompensés lors de différentes expositions agriculturales.
La culture de la pomme de terre a continué pendant l’entre-deux guerres. Près de 100 variétés de pommes de terre sont apparues sur les tables polonaises sous la forme de ravioles, de nouilles, de pancakes et de tartes. Les recettes à base de pomme de terre étaient évidemment présentes dans les livres de recettes. Mais on les trouvaient aussi dans les magazines destinés aux classes moyennes et aux femmes. Des livres de recettes spécialement dédiés à la pomme de terre ont aussi commencé à apparaitre.
La Seconde Guerre mondiale a largement détruit les réalisations polonaises dans la culture de la pomme de terre. Les dégâts étaient plus importants dans les parties de la Pologne incorporées dans le IIIe Reich. Ainsi, dès la fin de la guerre, les scientifiques polonais ont immédiatement reconstruits l’industrie de la pomme de terre. La pomme de terre est devenue l’un des aliments les plus importants en Pologne sous le régime communiste.
Dans les années 40 et 50, la nourriture manquait parfois. Il est donc devenu nécessaire de baser les régimes alimentaires sur la pomme de terre. De ce fait, une abondance de recettes à la pomme de terre imitant des plats populaires à base de viande ont été créés.
Des livres de cuisine dédiés aux plats à la pomme de terre avaient aussi été publiés avant 1939. Néanmoins, c’est seulement dans les années 80 qu’un livre intitulé 500 Potraw z Ziemniaków (500 Plats à la Pomme de Terre) de Bolotnikov et Vapielnik a été traduit du biélorusse et publié en Pologne. Son introduction soulignait l’importance des pommes de terre dans la gastronomie des pays du bloc de l’Est.
La Pomme de Terre aujourd’hui en Pologne
Aujourd’hui, 30 ans après la chute du communisme, la pomme de terre regagne sa place proéminente dans la cuisine polonaise. Ses différentes variétés sont recherchées par les chefs polonais. Plus de 120 variétés sont actuellement cultivées en Pologne. Et pourtant, les connaissances autour de ce légume sont toujours faibles. Utiliser la bonne variété pour un plat donné se traduit par une expérience culinaire plus raffinée.
Les pommes de terre de type A (salade) restent fermes lorsqu’elles sont bouillies (variétés Venezia, Bellinda, Colette, Belana, Anuschka, Glorietta). Les types B (utilisation tout usage) peuvent facilement être écrasés lorsqu’ils cuisent et ont meilleur goût dans les plats de viande et avec des sauces (variétés Vineta, Bellarosa, Rouge Sonya, Jelly, Marabel). Les pommes de terre de type C (féculents) sont idéales pour les crêpes de pommes de terre et les frites. Ce sont aussi celles qui s’effondrent facilement lorsqu’elles sont cuites (variétés Augusta, Agria, Jurata).
Tout ce qui vous reste à faire est de découvrir quels délicieux plats à base de pomme de terre la gastronomie polonaise a à offrir ! Smacznego !
Source : Big Potatoes: The History of Potatoes in Poland | Article | Culture.pl
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Chef Franco-Polonais et Fondateur de Sauce Polonaise. Passionné par la richesse de la cuisine et de la culture polonaises, Pierre explore et partage les saveurs authentiques et les histoires captivantes de la Pologne. Résidant en Pologne depuis 7 ans, chaque recette, chaque article, est une invitation à découvrir ce pays vibrant à travers ses plats, ses traditions et son peuple.